La question relative au foncier est devenue centrale dans la réflexion sur le développement et la stabilité socio-économique du Sénégal. Le marché étant ce lieu, physique ou virtuel, où se rencontre l’offre et la demande et où est fixé le prix d’un bien ou service. Il s’avère aujourd’hui nécessaire d’évaluer systématiquement le marché qui encadre la gouvernance foncière au Sénégal. Une pareille évaluation passera par l’étude de plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a une croissance forte de la demande en terres au niveau national et à l’échelle mondiale pour la production d’aliments, de biocarburants et de fibres. En outre, il y’a la croissance urbaine et la nécessité d’une transformation structurelle du secteur agricole, en vue d’augmenter les revenus pour les producteurs et de faciliter le transfert de la main-d’œuvre hors du secteur agricole[1].
Ainsi, le jeu combiné de la croissance démographique débouchant sur une forte demande en logement, l’urbanisation galopante, le développement des cultures destinées au marché, la disparition des systèmes de culture itinérants, le raccourcissement de la durée des jachères, favorise de toute évidence à cette augmentation de la valeur de la terre, mais également à une monétarisation croissante de l’accès à la terre à travers la vente et la location.
Le foncier représentant alors un levier économique très important, constitue parallèlement une grande problématique en raison de la multiplicité des textes juridiques qui régissent le foncier. Par conséquent, le défi à l’heure actuelle, est d’organiser rationnellement la gestion du foncier, son utilisation et sa commercialisation. En effet, l’existence d’un pluralisme juridique présuppose la coexistence de différents systèmes en relation. D’où la question de savoir : Quelles sont les pistes de solutions pour un marché foncier plus sécure? Mais en amont, voyons voir tout d’abord les caractéristiques du marché foncier sénégalais.
1- QUELQUES CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ FONCIER AU SÉNÉGAL
Le paysage foncier sénégalais se caractérise comme un marché de spéculation. La faiblesse des investissements dans le domaine agricole semble avoir rendu les autorités promptes à accepter différents types de modèles d’affaires, sans toujours prendre en considération les impacts potentiels qu’ils peuvent engendrer. Le manque total de publicité concernant les immeubles non immatriculés et leurs détenteurs rend le secteur traditionnel d’une opacité impropre. Ce qui impacte inéluctablement sur la circulation des biens, à l’investissement et à la modernisation. La procédure de l’acquisition des terres, surtout par les investisseurs suppose, au préalable, une concertation avec les populations détentrices des droits fonciers, en vue d’obtenir leur consentement.
En réalité, les paysans ne perçoivent pas toujours les conséquences qui peuvent découler de leur engagement. Ils ne sont pas suffisamment accompagnés pour évaluer le business plan et apprécier les impacts des projets à court et moyen termes. C’est donc un marché ou la transparence est trop faible, ce qui le rend instable du fait que la plupart des parcelles de terrain au Sénégal ne sont pas immatriculées. L’APIX semble ne pas se préoccuper de l’établissement de protocoles d’accord devant spécifier les engagements des promoteurs vis-à-vis des populations qui cèdent leurs terres, ni des mécanismes visant à protéger ces dernières contre une éventuelle spoliation. Ce marché s’apparente en outre à celui d’un marché qui fonctionne à plusieurs vitesses. Le constat est celui d’une vitesse de la règlementation, celle de la purge juridique du foncier et celle de la purge technique pour une mobilisation à la construction.
L’un des principaux obstacles à la situation foncière au Sénégal est également relatif à une dualité des régimes de domanialité en plus du faible taux d’immatriculation et du morcellement excessif. Ce dualisme entre le régime de l’immatriculation et celui du domaine national pose un problème de par le fait que le premier régime représente un obstacle à la mobilisation du foncier. En effet, seul l’Etat peut immatriculer les terres du domaine national. Ainsi, ce régime du domaine national constitue aussi un flou préjudiciable à la sécurité des transactions. Car, la majorité des exploitants familiaux ne dispose que de titre précaire (autorisation d’occuper, permis d’exploitation,) en contrepartie d’une mise en valeur rationnelle.
Aucune dépendance du domaine national ne peut être vendue, en vertu du principe d’inaliénabilité qui régit ces sous-ensembles. La vente d’un lopin terre n’est envisageable que lorsqu’il s’agit d’une dépendance du domaine privé de l’Etat. Selon, l’article 41 de la loi n° 76-66 du 2 juillet 1976 portant code du domaine de l’Etat, la vente doit être autorisée par une loi. L’inaliénabilité de la terre est de ce fait souvent considérée comme une caractéristique de facto de la communauté villageoise dans de nombreuses sociétés traditionnelles ou coutumières. Dans ces sociétés, les membres de la communauté bénéficient d’une garantie d’accès à la terre fondée sur leur appartenance au groupe social, au nom de principes d’économie morale (Scott 1976) : « tout individu a le droit d’avoir accès aux ressources nécessaires à sa subsistance », mais uniquement sous la forme de droits d’usage.[2]
Les lourdeurs et lenteurs administratives font qu’une infime partie de cette frange de la population arrive à avoir un bail. Logiquement, l’interdiction d’aliéner, de vendre une dépendance du domaine national ne peut découler que du fait que ce dernier est en principe insusceptible d’appropriation individuelle, privée. En effet, le domaine national n’appartient à personne, même pas à l’État, qui ne doit avoir que des compétences de gestion y relatives. Ce qui se passe hélas dans la pratique, c’est que les populations, de connivence avec les administrateurs des terres arrivent à trouver des contournements pour faire des transactions. Ce qui rend la charge foncière trop chère.
2- QUELLES SOLUTIONS POUR PARER À CETTE SITUATION ?
Pour une harmonisation et une transparence dans la gestion de la ressource foncière au Sénégal, un décret n° 2020-1773 modifiant le décret n° 72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation des terres du domaine national comprises dans les communes a été signé et qui donne des compétences aux gouverneurs. Or selon l’article 270 du Code Général des Collectivités Territoriales, ces derniers ne sont pas habilités à exercer un contrôle de légalité. Ainsi conformément à la hiérarchie des normes, ce nouveau décret ne peut pas ranger la loi derrière lui, mais doit plutôt se ranger derrière la loi. Pour donner au gouverneur le pouvoir d’exercer ce contrôle, la loi 2013-10 portant CGCT devra au préalable être révisée en vue de désigner les gouverneurs parmi les autorités habilitées à exercer un pouvoir d’approbation sur les délibérations notamment foncières.
En outre pour résoudre le disfonctionnement du régime foncier au Sénégal, il y’a plusieurs solutions. Comme prévu dans le cadre du Projet Cadastre et Sécurisation Foncière (PROCASEF), il faut mettre en place des agences foncières régionales qui doivent accompagner les régions pour la maitrise du foncier. Il s’agit de mettre l’accent sur la maitrise de la gestion foncière et conséquemment la maitrise de l’information foncière, des procédures y afférentes et la formation des acteurs. En effet, la bonne maitrise des assiettes foncières est un préalable à la bonne administration des terres. Pour rappel, le domaine national couvre 95% du territoire national et est géré par les communes suivant leur compétence géographique[3]. L’État du Sénégal doit en outre réfléchir sur la mise en place de juridictions spécialisées en la matière pour consolider l’ossature institutionnelle.
Le partenariat public/privé semble également être un mécanisme pour régler ce problème du sol, qui stipule de garder le sol dans la propriété de l’État. Un cadastre rural est ainsi nécessaire pour veiller aux opérations sur le sol. D’un point de vue fonctionnel, le cadastre est un ensemble d’activités et d’opérations administratives et techniques y compris un support dématérialisé, des documents graphiques, un registre et des documents portants sur la situation foncière. C’est donc le bras technique de l’État en matière de gestion foncière et également le support incontournable des collectivités territoriales.
Les transactions foncières au Sénégal portent, dans leur grande majorité, sur des droits de propriété non reconnus légalement, et ne font pas l’objet d’un enregistrement ayant une valeur légale. Pour autant, nombreuses sont celles qui font l’objet d’une production de documents écrits, dont le niveau de formalisation suit un gardien depuis la simple feuille volante signée par les parties et des témoins, jusqu’à des formes plus élaborées impliquant divers représentants de l’administration foncière ou territoriales[4]. Ces pratiques sont qualifiées de « formalisation informelle [5]». Face aux risques de litiges ou conflits auxquels ils sont confrontés, les acteurs impliqués dans les transactions foncières peuvent mettre en œuvre des stratégies de sécurisation visant à prévenir ces derniers. Dans le cas des contrats, un enjeu primordial, au-delà de la sécurisation des droits de propriété du cédant ou d’usage du preneur, est celui du respect des engagements contractuels.
[3] DGID, Magazine trimestriel N° 29, 2021.
[4] Lavigne Delville 2003
[5] André 2003 ; Benjamines et al
[2] EMERGENCE ET DYNAMIQUE DES MARCHES FONCIERS RURAUX EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE UN ETAT DES LIEUX SELECTIF, LES CAHIERS DU POLE FONCIER ? N° 18/2017
[1] Cadre d’Analyse de la Gouvernance Foncière au Sénégal (CAGF), IPAR, 12-MAI-2013.
Moustapha DIOUF, Juriste foncier
1 Comment
Sarr Mountakha
Les pépites de cette trempe doivent être promu à l’élite au détriment d’une jeunesse paresseuse, en carence de réflexions qui peuvent constituer un vecteur de progrès pour notre cher pays. Rarissime de nos jours, de voir une production intellectuelle qui émane de la jeunesse et qui soit d’un certain niveau de connaissance et de maîtrise du sujet. Bonne continuation M. DIOUF