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La régulation audiovisuelle au Sénégal : Un système à parfaire

L’audiovisuel constitue aujourd’hui un dispositif incontournable dans le monde. Il permet d’éduquer, de distraire et surtout d’informer. En terre africaine, les médias audiovisuels ont toujours été les canaux de communication les plus contrôlés souvent d’ailleurs pour des raisons politiques liées à l’intérêt national.

Au Sénégal, en vertu l’article 02 de la loi N•2006-04 du 04 janvier 2006, tous les médias audiovisuels sont sous la tutelle du Conseil National de Régulation Audiovisuel. L’objet principal de cette institution selon l’article 1er de la loi précitée, est d’assurer le contrôle de l’application de la réglementation sur l’audiovisuel et de veiller au respect des dispositions de la présente loi et celles des cahiers de charges et conventions régissant le secteur.

C’est en sens que  Emmanuel ADJOVI soulignait dans les instances de régulation en Afrique de l’Ouest:

« Il s’agit en fait d’organes non juridictionnels chargés de réglementer le secteur, d’assurer un équilibre entre les intérêts des différentes forces, d’arbitrer au besoin entre ces intérêts et de réprimer éventuellement les infractions. Ces instances ont pour vocation de garantir la liberté de la communication audiovisuelle et de contribuer au pluralisme médiatique »

De telles fonctions leur confèrent des responsabilités importantes et délicates dans les pays en conflit ou post-conflits où la question du pluralisme de l’information et du partage équitable de la parole dans l’espace public devient encore plus cruciale. Toutefois, cette fonction régulatrice ne semble-elle pas souvent manœuvrée en filigrane par un contrôle gouvernemental, entravant dans bien des cas la libre circulation des informations ? Il y a lieu de parcourir d’abord la législation portant sur la régulation de l’audiovisuel au Sénégal. Pour ensuite aborder la perspective de repenser en partie cette régulation. 

1- La législation portant sur la régulation de l’audiovisuel au Sénégal

L’objet de cette loi a été d’instituer un nouvel organe de régulation plus conforme au paysage audiovisuel sénégalais marqué par une floraison de radios et de nouvelles chaînes de télévision. Il s’agissait entre autres d’apporter des réponses appropriées face aux défis d’alors et d’aujourd’hui du panorama audiovisuel sénégalais. 

Ce conseil est constitué de neuf membres  nommés par le président de la république pour une durée de six ans ni renouvelable, ni révocable selon les articles 3 et 4 de la même loi. Il assure également dans le cadre de ses attributions un rôle permanent de veille nominativement énumérées par les articles 7, 8 et 9. On peut en citer la veille au respect de l’accès équitable des partis politiques, des syndicats et des organisations reconnues de la société civile aux médias audiovisuels dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, au respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et du caractère laïc de la République dans les contenus des messages audiovisuels.  Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel veille aussi à l’indépendance et à la liberté de l’information et de la communication dans le secteur de l’audiovisuel; au respect de la loi et à la préservation des identités culturelles, à l’objectivité et au respect de l’équilibre dans le traitement de l’information véhiculée par les médias audiovisuels.

Au delà de ce rôle de veille, le conseil dispose également d’un pouvoir de contrôle et de sanctions. En effet selon l’article 26, les sanctions peuvent varier d’une suspension des émissions à une sanction pécuniaire. Et selon l’article 212 du code de la presse de 2017, ces décisions de sanction de l’organe de régulation peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant la juridiction suprême compétente en matière administrative. Le recours n’est pas suspensif, bien qu’une demande de sursis à exécution puisse être introduite devant la même juridiction. Cependant, l’article 27 de la loi de 2004 sur la régulation audiovisuelle dispose : les sanctions prononcées par le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel ne donnent droit à aucun dédommagement.  Il est naturellement visible que le conseil semble disposer de pouvoirs un peu trop « étendus ». Et dans un souci d’équilibre démocratique, la simple constitution du conseil devrait faire l’objet d’une grande concertation. Au delà également de la composition de l’organe régulateur, l’équilibre normatif souhaiterait qu’une sanction arbitraire ou illégale fasse l’objet de dédommagements, ce qui n’est pas encore le cas au Conseil de Régulation. Ainsi, la perspective de repenser cette régulation s’avère aujourd’hui nécessairement urgente.

2- La nécessité de repenser cette régulation

L’idée de réguler le secteur audiovisuel à été en réalité un projet hautement salué. En revanche, le système par lequel les membres siègent à ce conseil peut être source d’une instrumentalisation ou d’abus de pouvoir pour dés fois l’intérêt de l’exécutif. Pour éviter alors des dérives autoritaires, il faudrait en premier, revoir ce système de nomination afin de garantir l’indépendance totale de l’organe régulateur. L’État devrait surtout adopter une démarche inclusive avec les acteurs du milieu pour réfléchir à nouveau sur la composition du Conseil de Régulation. Car ce n’est qu’avec ce travail de concert qu’il pourrait assurer et pérenniser cet équilibre et cette indépendance tant souhaitée par les acteurs du milieu de l’audiovisuel. 

Et aujourd’hui, l’autre grande question se situe au niveau des sanctions. En effet, conférer un pouvoir de sanctions suspensives et pécuniaires avec une possibilité de recours devant la cour suprême, mais qu’en parallèle que ces sanctions ne puissent faire l’objet de dédommagement semble quand même quasi-totalitaire. Ce qui signifie par exemple, lorsque le CNRA suspend les émissions d’une chaîne pour une durée déterminée. Et qu’après recours, la chambre administrative qualifie cette décision d’illégale et l’annule. Les jours d’inactivité et naturellement de perte d’argent de la chaîne ne pourront faire l’objet de dédommagement. Et d’ailleurs cette question a fait l’objet d’une actualité très récente lors des manifestations observées au Sénégal au cours du mois de mars. En effet, durant cette période, le CNRA avait coupé le signal de la SN TV et WALF TV  à cause des «manquements» à leurs obligations, selon le gendarme  audiovisuel, notamment « de veiller à sauvegarder la paix et à ne pas diffuser de programmes faisant, notamment, explicitement ou implicitement l’apologie de la violence ». Tout ceci pour montrer cette apparence de parti pris notée dans l’institution  à travers sa mission de régulation, quitte à dénier aux journalistes un droit fondamental acquis de haute lutte et inscrit dans la Constitution. Et pire, dans l’hypothèse même ou cette décision serait entachée d’illégalité, le préjudice ne pourrait être réparée.

Ce soit disant recours devant la cour suprême apparaît finalement comme une illusion d’optique.  Il serait alors beaucoup plus indiqué de consacrer dorénavant le dédommagement des chaînes qui feront l’objet d’une décision illégale et arbitraire ainsi que d’accélérer le processus de la mise en place du projet de la haute autorité de la régulation de communication audiovisuelle pour une instance de régulation audiovisuelle.

Chérif El Waly DIARRA, Juriste en droit des affaires et en droit numérique 

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